Un rassemblement des coursiers et chauffeurs a lieu ce mardi 25 octobre à 15h, place du Luxembourg, devant le Parlement européen pour faire pression sur le texte de la directive en cours d’écriture. C’est le moment de vous donner à lire la brochure de l’Alliance internationale des travailleurs de plateforme et ses revendications essentielles de défense des droits sociaux et création de droits numériques !
Le texte exposé dans la présente rubrique est une brochure explicative liée à un tract publié pour la journée internationale des travailleurs de plateforme du 24 février 20212.
Elle a été rédigée dans le cadre du réseau Alianza unidos world action (AUWA), un des réseaux de coursiers – et plus largement, de travailleurs de plateforme – créés, tant aux niveaux européen qu’international suite aux importantes vagues de mobilisations qui ont eu lieu depuis 2016. Ces réseaux de lutte sont apparus devant l’évidence que face à des entreprises multinationales comme Deliveroo, Uber, Lift, Glovo, ou Rappi, la lutte ne peut se restreindre à l’échelon local ou national. Nous en proposons ici la publication brute (voir PDF ci-dessous), suivie d’un commentaire d’Anne Dufresne.
Coursiers de tous les pays, unissez-vous !
L’AUWA est une coordination internationale de travailleurs de plateformes mise en place grâce à la multiplication de mobilisations locales dans nombre de pays latino-américains et suite à l’effet accélérateur de la pandémie en 2020. L’alliance ras- semble des collectifs, associations, organisations syndicales, et militants, majoritairement latino-américains, comme on peut le constater sur le logo qui illustre la première page de la brochure [1]. S’y côtoient coursiers et chauffeurs organisés. La mission très générale de l’Alliance est d’« améliorer la vie des coursiers et chauffeurs en améliorant leurs conditions de travail dans le monde entier » [2]. La coordination s’organise à travers la participation directe des travailleurs par le biais d’assemblées formées par des représentants des collectifs et de votes démocratiques. Ayant débuté en temps de pandémie, ces assemblées ont lieu chaque semaine par visioconférence.
Pour promouvoir ses revendications, l’AUWA choisit l’action directe par des arrêts de travail, marches et autres manifestations. Les collectifs et syndicats de l’AUWA ont déjà organisé cinq grèves internationales successives (les 29 mai, 1er juillet, 25 juillet et 8 octobre 2020 [3] ainsi que le 3 novembre 2021). Pour élaborer des actions et revendications partagées, les coursiers s’appuient essentiellement sur des moyens de communication en ligne afin de maintenir un lien permanent entre les participants et se rendre plus visibles. Enfin, l’Alliance souhaite d’une part établir des protocoles de négociation collective qui garantissent la participation des travailleurs à la régulation de l’économie de plateforme et, d’autre part, collaborer avec des avocats indépendants pour engager des poursuites au niveau international contre les violations des droits du travail des normes de santé et de sécurité par les plateformes numériques.
« Lutte pour tes droits : tous salariés ! »
La présente brochure fait le lien entre l’échelon international et l’échelon européen dans la mesure où elle a été élaborée pour la journée d’action internationale du 24 février 2021, jour de consultation officielle sur le projet de directive de la Commission européenne sur les droits des travailleurs de plateforme [4]. Cette directive devrait être adoptée au cours de l’année 2022. Ce jour-là, des actions ont été organisées dans les différents pays représentés par l’AUWA (cf. tableau) : devant les ambassades européennes pour ce qui est des organisations (latino)-américaines, devant la représentation de l’UEUEOu UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L\'Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007). (En anglais : European Union) à Paris pour ce qui est de la France, et devant les institutions européennes pour les collectifs et syndicats belges.
Cette brochure, distribuée aux différentes actions mentionnées, comporte trois parties : un argumentaire en faveur du salariat, la dénonciation de l’argumentaire des plateformes sur les bienfaits du statut d’indépendant, ainsi qu’une série de revendications.
Les organisations actives lors de la journée internationale du 24 février 2021, appelée par l’AUWA.
Le texte a pour objectif premier de développer un argumentaire clair en faveur de la relation d’emploi salarié pour les travailleurs de plateforme sous le slogan : « Lutte pour tes droits : tous salariés ! ». Il est important de comprendre que la requalification de la relation de travail comme salariée a été l’une des exigences centrales de la majorité des journées d’action mondiales initiées par l’AUWA de l’autre côté de l’Atlantique [5].
Deux éléments principaux argumentent en faveur du choix du statut salarié : la première touche au risque d’extension et de généralisation du phénomène des faux indépendants que pourrait provoquer le maintien des travailleurs ubérisés sous le statut d’indépendant. En effet, les coursiers et chauffeurs ne sont pas les seuls travailleurs touchés par l’issu de la législation européenne en cours d’adoption. La légalisation potentielle des faux indépendants pourrait donc mener non seulement au maintien des travailleurs ubérisés dans des conditions de travail très dégradées, mais également à une régression de la norme standard d’emploi pour tous les travailleurs, la précarité des faux indépendants se répandant alors dans nombre de secteurs.
Le deuxième élément en faveur du statut salarié correspond à la jurisprudence apparue dans nombre de pays [6] qui fait état des décisions de justice favorables aux travailleurs de plateformes, à savoir : la requalification juridique de leur contrat d’indépendant en contrat de travail salarié. Pour atteindre cet objectif, ils s’appuient sur plusieurs arguments : la situation des travailleurs de plateformes, géolocalisés, incapables de fixer le prix de leurs prestations, obligés de respecter des contraintes en matière de temps de travail, de porter un équipement déterminé, susceptibles d’être « déconnectés » par les plateformes... ne ressemble pas à celle des vrais indépendants. Si ces « faisceaux d’indices » marquant la subordination peuvent varier selon les plateformes et leurs pratiques respectives, ils se retrouvent bien comme argument principal dans les décisions jurisprudentielles. Ces victoires juridiques sont des points d’appui essentiels pour argumenter en faveur du statut d’emploi, sachant que pour l’AUWA, « il n’y a pas d’incertitude juridique, seulement des entreprises qui enfreignent la loi ».
Outre ces deux points d’appui importants pour revendiquer le statut de salarié pour tous les travailleurs de plate- forme, l’AUWA dénonce l’argumentaire des plateformes sur « les avantages d’être indépendant ». Le texte met en évidence – entre autres – qu’il est faux de dire ou laisser en- tendre qu’un coursier est son propre patron, qu’il décide de quand il veut travailler et combien il veut gagner. L’AUWA explique au contraire que l’application impose en réalité de travailler à des horaires précis et pendant un nombre d’heures déterminées, sans quoi le coursier n’aura pas de commandes et/ou sera désactivé. La liberté horaire souvent promue par les plateformes apparaît donc fallacieuse.
Enfin, les revendications mises en avant dans la brochure ne manquent pas d’être originales. Elles ajoutent à la défense des droits sociaux classiques la création de nouveaux droits dits « numériques ». En effet, le travail de plateforme se caractérise par de nouvelles formes d’exploitation et de domination liées aux technologies numériques sur lesquelles il repose. On songe ici en particulier d’une part aux conséquences du « management algorithmique » sur les conditions de travail et, d’autre part, à la place et au rôle qu’occupent les données dans le modèle économique des plateformes. C’est pourquoi l’AUWA revendique avant tout que l’application soit intelligible, contrôlable et transparente, ce qui suppose une surveillance publique, par le biais par exemple d’un registre d’État, et syndicale, par la soumission de l’algorithme aux conventions collectives [7]. Quant à la protection des données personnelles, il est revendiqué un « droit à l’accès et au contrôle des données réquisitionnées par la plateforme, ainsi qu’un droit de regard sur leur utilisation et les bénéfices qu’elles génèrent » [8].
Le mouvement international souhaite ainsi avancer vers la définition d’un substrat revendicatif commun qui concernerait les travailleurs de plateforme à la demande, plus largement que les coursiers et chauffeurs [9]. La brochure présentée ici participe bien à l’essai de priorisation et de généralisation des revendications, étape essentielle pour progresser dans le processus de transnationalisation de l’action collective.
Finalement, avec ces réseaux, peut-être avons-nous là les prémices d’« un nouvel internationalisme » ? Le mouvement des travailleurs de plateformes dont le fer de lance sont les coursiers et chauffeurs semble être un véritable « laboratoire de classe » promouvant des innovations stratégiques importantes pour l’avenir du mouvement ouvrier. Ici, ce sont les travailleurs eux-mêmes, de manière autonome et autogérée, qui tentent de construire une réponse globale aux multinationales de l’économie de plateforme.
Article paru dans la revue Salariat n°1, octobre 2022.
Pour vous procurer ce numéro, rendez-vous sur la page du Gresea.
Pour citer cet article, Dufresne, A. "L’alliance internationale des livreurs à vélo", in Revue Salariat n°1, octobre 2022, pp.230.
[1] 31 collectifs issus de seize pays sont représentés dans l’AUWA à ce mo- ment-là. Six pays européens, ainsi que les États-Unis et neuf pays d’Amérique centrale et du Sud. Ces derniers sont majoritairement représentés par #NiUnRepartidorMenos, un collectif mexicain qui s’est étendu au Pérou, en Équateur, en Colombie, au Chili et en Argentine (voir tableau supra).
[2] Charte de l’AUWA. Pour le détail des revendications, voir la Déclaration internationale du 8 octobre 2020.
[3] Paolo Marinaro, « I riders latinoamericani lanciano lo sciopero globale », Jacobin Italia, 28 août 2020.
[4] Un premier texte a été publié le 9 décembre 2021.
[5] À noter que les collectifs européens restent, quant à eux, encore souvent sur une revendication proposant un « choix entre statut salarié et indépendant ». Ceci était déjà ressorti de la charte d’octobre 2018 à l’assemblée générale européenne des coursiers qui regroupait les revendications des collectifs de douze pays de l’UE.
[6] Dans le document, seules certaines de ces victoires sont mentionnées : en Belgique, Espagne, France, Italie, pour l’Europe et en Bolivie, Chili, Uruguay pour l’Amérique latine. Pour une chronique sur la jurisprudence mise à jour en permanence, nous renvoyons à l’excellent travail de la professeure Ignaci Beltran de Heredia Ruz, URL : https://ignasibeltran.com/2018/12/09/employment-status-of-platform-workers-national-courts-decisions-overview-australia-brazil-chile-france-italy-united-kingdom-united-states-spain/.
[7] Plusieurs initiatives vont dans ce sens. Voir notamment la position adoptée en 2017 par Uni Global Union ; et les recommandations publiées par l’ONG « Algorithm Watch », URL : https://algorithmwatch.org/en/governing-platforms-final-recommendations/.
[8] Pour plus de détails sur la revendication de nouveaux droits syndicaux « numériques », voir Anne Dufresne, Cédric Leterme, op. cit., 2021, p. 68-72.
[9] Le croisement des deux chartes, européenne et internationale, indique que la thématique qui se recoupe exactement est celle de « la suppression des évaluations à la performance » qui révèle en réalité l’intensification du travail bien spécifique au travail de plateforme. Cette revendication est incluse dans la revendication plus générale de la transparence des applications et de la réappropriation de l’algorithme.{}